Le
juriste
De la
minéralogie à la géologie
La
météorologie
Né en 1743 à Paris, Antoine Laurent appartient
à une famille de robins: son père, homme
fortuné et cultivé, est procureur au Parlement de
Paris. Le jeune garçon reçoit au collège des
Quatre Nations, actuel Institut de France, une éducation
très complète, orientée vers l'étude
des sciences. Il en garde le goût et le respect de la
précision: "J'étais accoutumé à cette
rigueur de raisonnement que les mathématiciens mettent dans
leurs ouvrages, écrira-t-il; jamais ils ne prennent une
proposition que celle qui la précède n'ait
été découverte. Tout est lié, tout est
enchaîné, depuis la définition du point, de la
ligne, jusqu'aux vérités les plus sublimes de la
géométrie transcendante." (Archives de
l'Académie des Sciences, fonds Lavoisier, ms. 1259).
Il quitte le collège en juin 1761, renonce aux deux
années de philosophie qui lui donneraient droit au titre de
bachelier."Arrivé à la philosophie, il conçut
tant de goût pour les sciences, qu'il résolut de s'y
consacrer tout entier."(Michaud, Biographie Universelle,
articleLavoisier, rédigé par Cuvier.) Sur le conseil
de son père, il commence des études juridiques;
licenciéen droit en 1764, il s'inscrit comme avocat au
Parlement de Paris.
Mais il reste attir par les sciences. Initié à la
météorologie dès le Collège, par
l'abbé de La Caille, il découvre d'autres
disciplines à la mort de ce dernier en mars 1762: la
botanique au Jardin du Roi, aujourd'hui Jardin des Plantes,
auprès de Bernard de Jussieu (1699-1777), l'anatomie
à l'École de Médecine,
l'électricité avec l'abbé Nollet, la
minéralogie et la géologie avec un ami de son
père, Jean Étienne Guettard (1715-1786), membre de
l'Académie des Sciences depuis 1743 en qualité de
botaniste, et conservateur du cabinet d'histoire naturelle du duc
d'Orléans.
Le produit de cette éducation est un honnête homme,
à l'aise dans la pratique des sciences et des arts, un
esprit ouvert, curieux de tout, sachant raisonner de tout. Son
intelligence pratique, sa méthode de travail, son sens du
concret sont ceux d'un organisateur, d'un administrateur, d'un
gestionnaire très efficace. Un tel homme a toutes les
qualités souhaitables pour devenir un grand commis de
l'État; c'est l'itinéraire qu'il va suivre à
la Ferme générale, à l'Académie des
Sciences et à la régie des Poudres et
Salpêtres.
Le juriste
Même s'il ne pratique pas sa profession de juriste, il en
garde l'amour du verbe et le respect du mot juste. Ses textes, un
peu solennels, sont toujours d'une lecture facile et
agréable, parce qu'ils sont très clairs, très
précis, et que la démonstration se déroule
d'une façon parfaitement logique et didactique. Ils sont du
reste travaillés et réécrits plusieurs fois,
comme ceux d'un notaire qui sait la valeur des mots. Il a grand
soin de présenter ses découvertes avec
précision, et se défend d'emprunter à ses
concurrents, jamais à court d'arguments pour expliquer
qu'il ne connaissait pas leurs résultats, ou bien que leur
véritable signification était différente;
c'est du reste très souvent la réalité. Sur
ses propres résultats, il n'oublie jamais d'établir
sa propriété intellectuelle, en déposant des
plis cachetés auprès du secrétaire de
l'Académie ou en lui faisant parapher les rapports en cours
de rédaction. Il ne parviendra pourtant pas toujours de son
vivant à éviter les querelles
d'antériorité, et encore moins après sa
mort
De la minéralogie à la
géologie
L'intérêt de Lavoisier pour la géologie
s'inscrit dans le projet d'Atlas minéralogique de la
France, la grande entreprise de Guettard, à double
finalité, théorique et pratique, qui doit
établir pour le duc d'Orléans la cartographie de
toutes les ressources du royaume: "les carrières, les
fouilles, les mines, les fontaines minérales, les
matières de toute espèce que la terre renferme dans
son sein". (Lavoisier, Oeuvres, V, p.
216).
En 1767, au cours d'un voyage de quatre mois dans les Vosges en
compagnie de Guettard Lavoisier fait une série
d'observations sur les eaux minérales, sur le travail des
mineurs et des métallurgistes, qui nourriront ses
réflexions de chimiste. Il découvre en même
temps les liens entre géographie physique,
démographie et vie économique.
Mais la géologie l'attire; il se sent de taille à
échafauder à partir des ouvrages de ses
maîtres, Buffon (1707-1788), Guettard et Guillaume
François Rouelle (1703-1770), une théorie de la
formation de la terre. " "Il résultera de ce travail
immense, annonce-t-il, des connaissances exactes sur les anciennes
limites de la mer, sur le lit qu'elle occupait, sur l'ancienne
disposition des continents; en un mot, un système, toujours
guidé par des expériences et des observations
sûres, des changements arrivés au globe." (Lavoisier,
Oeuvres, III, p. 109).
La croûte terrestre, selon lui, est formée d'une
terre ancienne, faite de masses montagneuses granitiques pauvres
en fossiles, et d'une terre nouvelle, plus récente,
fossilifère et sédimentaire. Les rochers de la terre
ancienne sont "disposés par bancs perpendiculaires ou
inclinés à l'horizon. Ces rochers sont de quartz, de
granit, de schiste, d'ardoise et de pierres talqueuses."
(Lavoisier, Oeuvres, V, p. 233).
Les sédiments de la terre nouvelle sont de quatre sortes:
les terres et pierres calcaires, les terres et pierres gypseuses,
les cailloux ou silex, les terres argileuses." (Lavoisier, ibid.,
p. 229.).
Il pense au début qu'une seule époque de
sédimentation peut rendre compte des
phénomènes; les eaux de l'océan primitif, en
se retirant, auraient dégagé les continents et
donné une distribution complexe de bassins maritimes et de
continents ; des bancs pélagiens se seraient formés
en pleine mer, faits de matière calcaire presque pure,
mêlée à des débris de coquillages
accumulés pendant des siècles ; des banc littoraux,
le long des côtes, auraient une nature plus complexe avec de
haut en bas: des galets, du sable grossier, du sable fin, de
l'argile et de la terre siliceuse. Mais à l'automne 1766,
un voyage en Brie lui montre que l'alternance de bancs calcaires
et de bancs sablonneux est un phénomène beaucoup
plus fréquent qu'il ne le pensait. Or la théorie
n'explique pas la coexistence de bancs littoraux et
pélagiens. Il faut admettre qu'un mouvement cyclique de
flux et de reflux de l'océan a déposé sur la
terre une succession de couches sédimentaires. Pour mesurer
l'épaisseur, l'altitude et l'extension de chacune de ces
couches géologiques, Lavoisier tente d'établir des
courbes de niveau barométriques; mais la technique
s'avère insuffisamment précise et c'est par des
observations géodésiques réalisées
avec le quart de cercle rapporteur de Jean Charles de Borda
(1733-1799) qu'il contrôlera ensuite ses données.
La
météorologie
La météorologie est sa seconde
spécialité. A l'âge de vingt ans, il a
commencé dans sa maison de la rue du Four-Saint-Eustache
des observations barométriques qu'il poursuivra toute sa
vie. En 1776, il réalise une étude comparative des
températures observées pendant l'hiver (-14°)
avec celle de l'hiver 1709 (-15° 1/2); les données du
thermomètre construit par Réaumur (1683-1757) en
1732 ne concordent pas avec celles des appareils plus
récents: c'est l'occasion pour lui de définir des
règles précises de fabrication et de graduation des
thermomètres et de déposer douze modèles
étalons à l'Académie des Sciences.
En 1781, étudiant l'électricité naturelle et
la formation du tonnerre, il montre avec Laplace et Volta que
l'hydrogène, l'oxyde nitrique, le bioxyde de carbone et la
vapeur d'eau, en passant de l'état liquide à celui
de vapeur, libèrent des charges électriques
mesurable à l'électromètre. Avec Benjamin
Franklin (1706-1790) , il équipe de paratonnerres
l'église Saint-Paul .
Prédire les changements de temps est un art difficile,
estime-t-il, presque autant que la médecine: il faut
disposer de mesures quotidiennes de la pression
atmosphériques, de la force et de la direction des vents
à différentes altitudes, de l'état
hygrométrique de l'air. Il crée un réseau de
correspondants en France et en l'Europe, sélectionne
baromètres et anémomètres. "Avec toutes ces
données, écrit-il, il est presque toujours possible
de prévoir un ou deux jours à l'avance, avec une
assez grande probabilité, le temps qu'il doit faire; on
pense même qu'il ne serait pas impossible de publier tous
les matins un journal de prédictions qui serait d'une
grande utilité pour la société." (Lavoisier,
Oeuvres, III, p. 771).