L'attention portée par Lavoisier
à la physiologie humaine est l'aboutissement d'un long mais
logique cheminement. Ses nombreuses interventions dans le domaine
de l'hygiène et de la santé publiques l'ont
amené peu à peu à réfléchir aux
facteurs qui conditionnent l'état de santé ou de
maladie, et à adopter une démarche proche de celle
du physiologiste. Quand il inscrivait dans son cahier de
laboratoire, le 20 février 1773, son célèbre
programme de recherches sur l'air qui se fixe ou qui se
dégage des corps, il n'y pensait pourtant pas. Son projet
à l'époque était purement chimique: il
voulait élaborer une théorie générale
rendant compte des cinq circonstances où, selon lui, de
l'air se fixait ou se dégageait des corps chimiques: la
végétation, la respiration, la combustion, la
calcination, les combinaisons chimiques.
Dix sept ans plus tard, il envisage des applications
médicales à sa démarche de chercheur:
Celui-ci peut espérer, dit-il, "de diminuer la masse des
maux qui affligent l'espèce humaine, d'augmenter ses
jouissances et son bonheur, et n'eût-il contribué,
par les routes nouvelles qu'il s'est ouvertes, qu'à
prolonger de quelques années, de quelques jours même,
la vie moyenne des hommes, il pourrait aspirer aussi au titre
glorieux de bienfaiteur de l'humanité." (Lavoisier,
Oeuvres, tome II, p.
703).
La physiologie de la
respiration
C'est un phénomène que Lavoisier retrouve depuis
vingt ans à chacune des étapes de ses recherches. En
mai 1777 déjà il a publié des
"Expériences sur la respiration des animaux et sur les
changements qui arrivent à l'air passant par leur poumon",
complétées par un "Mémoire sur la combustion
des chandelles dans l'air atmosphérique et dans l'air
éminemment respirable. Ces idées ont
été développées dans le Mémoire
sur la chaleur", publié avec Laplace le 18 juin 1783.
Enfin, il a présenté en février 1785, devant
l'Académie royale de Médecine le "Mémoire sur
les altérations qui arrivent à l'air dans plusieurs
circonstances où se trouvent les hommes réunis en
société".
Dans le premier "Mémoire sur la respiration des animaux",
il présente à l'Académie, le 17 novembre
1790, la synthèse de ses connaissances.
- La respiration, dit-il, n'est pas destinée à
refroidir le sang, comme le croyaient les anciens. "Elle n'est
qu'une combustion lente de carbone et d'hydrogène, qui est
semblable en tout à celle qui s'opère dans une lampe
ou dans une bougie allumée et, sous ce point de vue, les
animaux qui respirent sont de véritables corps combustibles
qui brûlent et se consument." (Lavoisier, Oeuvres, tome II, p.
691).
- C'est l'air de l'atmosphère qui fournit l'oxygène
nécessaire à cette combustion; le sang fournit le
combustible et son oxydation dans le poumon explique son
changement de couleur. Cette combustion produit du gaz carbonique
et de l'eau.
- Cette combustion est la source de la chaleur animale. "Comme
l'air vital [l'oxygène] ne peut se convertir en acide
carbonique que par une addition de carbone; qu'il ne peut se
convertir en eau que par une addition d'hydrogène; que
cette double combinaison ne peut s'opérer sans que l'air
vital perde une partie de son calorique spécifique, il en
résulte que l'effet de la respiration est d'extraire du
sang une portion de carbone et d'hydrogène et d'y
déposer à la place une portion de son calorique
spécifique qui, pendant la circulation, se distribue avec
le sang dans toutes les parties de l'économie animale, et
entretient cette température à peu près
constante qu'on observe dans tous les animaux qui respirent."
(Lavoisier, Oeuvres, tome II, p. 692).
- Cette combustion a un coût énergétique:
"Comme c'est la substance même de l'animal, c'est le sang,
qui fournit le combustible, si les animaux ne réparaient
pas habituellement par les aliments ce qu'ils perdent par la
respiration, l'huile manquerait bientôt à la lampe,
et l'animal périrait, comme une lampe s'éteint
lorsqu'elle manque de nourriture." (Lavoisier, Oeuvres, tome II, p.
691).
Dans cette élégante métaphore, souligne F. L
H. Holmes, Lavoisier formule pour la première fois une
conception élargie de l'équilibre nécessaire
entre apports alimentaires et consommation de nutriments. "Il ne
voit plus la respiration comme une simple combustion de carbone et
d'hydrogène apportés par le sang mais envisage
l'équilibre énergétique avec le milieu
extérieur. La respiration et la nutrition sont les
éléments constitutifs d'un processus biologique
beaucoup plus large, englobant la plus grande part de
l'économie animale." (L. Holmers, Lavoisier and the Chemistry of Life, Madison-London: University of Wisconsin Press,
1985, p. 450).
- Les variations de la concentration en oxygène dans l'air
ne changent pas la consommation par l'organisme. "On sait que la
combustion est d'autant plus rapide que l'air dans lequel elle
s'opère est plus pure. Ainsi, par exemple, il se consomme
dans un temps donné beaucoup plus de charbon, ou de tout
autre combustible, dans l'air vital que dans l'air de
l'atmosphère. On avait toujours pensé qu'il en
était de même de la respiration, qu'elle devait
s'accélérer dans l'air vital, et alors qu'il devait
se dégager, soit dans le poumon, soit dans le cours de la
circulation, une plus grande quantité de calorique. Mais
l'expérience a détruit toutes ces opinions qui
n'étaient fondées que sur l'analogie. " (Lavoisier,
Oeuvres, tome II, p. 694).
- L'azote n'est pas un gaz respiratoire. Il entre dans le poumon
et en ressort comme il y était entré, sans
changement ni altération.
- Une relation existe entre le travail mécanique
effectué par un être vivant et les
phénomènes biochimiques mesurables qui en sont le
moteur. Désireux de mesurer ces échanges gazeux et
l'effet sur eux du repos, de la digestion, du travail musculaire,
Lavoisier invente avec Laplace le calorimètre à
glace: il peut ainsi mesurer la chaleur dégagée par
un animal, la comparer à celle libérée par la
combustion du charbon et connaître la dépense
énergétique; puis il mesure la consommation
d'oxygène correspondant à cette dépense. Il
établit ainsi plusieurs données
générales sur la respiration: les mouvements et la
digestion augmentent son rythme et la consommation d'air.
Désireux de confirmer ces hypothèses sur l'homme,
Seguin revêt un vêtement spécial, fait de
taffetas enduit de gomme élastique, qui ne laisse
pénétrer ni l'air ni l'humidité, fermé
au dessus de la tête par une forte ligature; un tuyau
collé autour des lèvres par du mastic lui permet de
respirer. Sa consommation d'oxygène au repos et à
jeun, à une température ambiante de 32,5
degrés centigrades, est de 400 ml par minute.
Ainsi se trouve précisée la notion de dépense
de fond inéluctable, liée à l'activité
physiologique minimale, en dehors de toute stimulation
extérieure: c'est le futur métabolisme basal.
La consommation augmente pendant la digestion, avec le froid et au
cours de l'exercice musculaire. "Nous sommes parvenus à
constater deux lois de la plus haute importance: la
première , c'est que l'augmentation du nombre des
pulsations est assez exactement en raison directe de la somme des
poids élevés à une hauteur
déterminée; la seconde , c'est que la
quantité d'air vital consommé est en raison directe
du produit des inspirations par les pulsations." (Lavoisier,
Oeuvres, tome II, p. 696).
Puis Lavoisier donne la description des travaux de Seguin
élevant pendant un quart d'heure un poids de quinze livres
à une hauteur de six cent cinquante pieds.
"Notons," écrit Pierre Dejours, "que dans le même
mémoire, les auteurs proposent deux lois
biométriques, peut-être les premières qui
aient été énoncées: d'une part, la
relation entre la fréquence cardiaque et la puissance
mécanique développée au cours de l'exercice;
d'autre part, entre la consommation d'oxygène et les
fréquences respiratoire et cardiaque. Les données de
la physiologie moderne montrent que ces lois sont exactes." (P.
Dejours, "Lavoisier physiologiste," in Il y a 200 ans Lavoisier, C. Demeulenaere-Douyère ed., Paris:
Technique et Documentation Lavoisier, 1995, p. 14).
A cette occasion, Lavoisier formule aussi une des première
lois de la physiologie du travail et invente les méthodes
modernes de mesure objective des tâches qui sont
utilisées en médecine du travail: évaluation
de la fréquence cardiaque, méthode universellement
adoptée actuellement; accessoirement, évaluation de
l'oxygène consommé, méthode maintenant
abandonnée au profit de la première. Il faut noter
que Seguin revendique une part de paternité dans la
découverte.
- Enfin le lieu où se déroule la combustion
entretenue par la respiration reste inconnu à Lavoisier.
Tantôt il se demande si le gaz carbonique se forme "dans le
poumon ou dans le cours de la circulation, par la combinaison de
l'oxygène de l'air avec le carbone du sang." Tantôt
il est proche de la bonne hypothèse: "Il serait possible,
écrit-il, qu'une partie de cet acide carbonique se
formât par la digestion, qu'il fût introduit dans la
circulation avec le chyle; enfin que, parvenu dans le poumon, il
fût dégagé du sang à mesure que
l'oxygène se combine avec lui par une affinité
supérieure."(Lavoisier, Oeuvres, tome II, p.
702).
Mais au terme de cette démarche, Lavoisier a
identifié les régulateurs biologiques dont
l'équilibre assure l'état de santé: la
respiration, qui apporte le carburant, l'oxygène; la
nutrition, qui fournit les combustibles, hydrogène et
carbone; la thermogenèse, ou production de chaleur
résultant de cette combustion; il reste à
définir son contrepoids, la thermolyse, assurée par
la transpiration.
La physiologie de la
transpiration
Celle-ci, pense Lavoisier, retire continuellement à
l'organisme de l'eau qu'elle combine au calorique pour la
transformer en vapeur; la perte de calorique amène un
refroidissement qui maintient constante la température du
corps. "Mais ce n'est pas seulement par les pores de la peau que
cette émanation aqueuse a lieu, précise Lavoisier:
il s'exhale aussi une quantité considérable
d'humidité par le poumon à chaque expiration."
(Lavoisier, Oeuvres, tome II, p. 706).
La méthode des bilans et l'emploi de la balance sont comme
toujours à l'honneur: pour connaître le poids de
l'eau perdue par la transpiration, il suffit de déterminer
la perte globale de poids d'un individu dans un temps
donné, et d'en soustraire la quantité d'eau perdue
par la respiration.
Dans le "Premier mémoire sur la transpiration des animaux",
il analyse le rôle respectif de la transpiration
cutanée, de la transpiration pulmonaire et de la
respiration. Pour dissocier la perte d'eau liée à
chacun de ces trois phénomènes les moyens
employés, "quoique simples dans la spéculation, ont
présenté d'extrêmes difficultés dans la
pratique" (Lavoisier, Oeuvres, tome II, p. 709). La
vérité oblige à dire qu'elles n'ont pas
été surmontées. Les auteurs perdent à
la fois le contrôle du protocole expérimental et
celui de la théorie physiologique; la complexité des
échanges hydro-électrolytiques au niveau du poumon
dépasse de très loin ce qu'ils peuvent imaginer.
L'année 1791 a vu Lavoisier successivement élu
commissaire de la Trésorerie nationale, membre de la
commission des Poids et Mesures, trésorier de
l'Académie des Sciences, membre du bureau de Consultation
des Arts et Métiers. Ce diable d'homme qui peut tenir dix
emplois à la fois commence à être
débordé, au détriment de ses recherches
personnelles.
En présentant le "Second mémoire sur la
transpiration" à l'Académie, le 22 février
1792, il annonce que "les expériences décrites
appartiennent entièrement à Seguin," son
élève et assistant. (Cité par M. Daumas,
Lavoisier théoricien et expérimentateur, Paris:
P.U.F, 1955, p. 65). Faute de résultats
expérimentaux et toujours plus à l'aise dans le
domaine des idées politiques, celui-ci philosophe sur les
disparités sociales: "Cette égalité de
température à laquelle l'homme riche parvient avec
tant de peines et de difficultés en réunissant les
productions des deux hémisphères, la soie de l'Inde
et la laine d'Espagne, en employant les travaux d'une multitude
d'hommes employés à tisser des étoffes
précieuses, la nature l'opère en faveur du pauvre
d'une manière plus simple, et qui ne le met dans la
dépendance de personne: elle accélère sa
respiration dans la juste mesure de son besoin." (Lavoisier,
Oeuvres, V, p. 388).
On devine que Lavoisier prend quelque distance vis à vis de
son jeune adjoint dont les théories audacieuses
l'inquiètent. En 18 années d'études et de
réflexions, il aura pourtant abordé les questions
essentielles: le rôle de la ventilation pulmonaire; ses
relations avec la circulation sanguine; l'analogie entre
respiration et combustion; le mécanisme de la chaleur
animale et de l'homéothermie; la régulation de la
fonction respiratoire et ses rapports avec la transpiration et
avec la nutrition.
La machine animale
Certes, beaucoup de questions restent sans réponse et il
faudra attendre près d'un siècle pour établir
que la respiration est destinée à produire
l'énergie nécessaire à l'entretien et au
développement des structures vivantes. Cette énergie
provient de l'oxydation dans les mitochondries, au coeur des
cellules, des trois classes de substances organiques: glucides,
lipides et protides. Mais Lavoisier a établi le lien
essentiel entre respiration, transpiration, chaleur animale et
nutrition, annonçant le concept moderne
d'énergétique biologique: "On voit que la machine
animale est principalement gouvernée par trois
régulateurs principaux: la respiration, qui consomme de
l'hydrogène et du carbone et qui fournit du calorique; la
transpiration, qui augmente ou diminue suivant qu'il est
nécessaire d'emporter plus ou moins de calorique; enfin la
digestion, qui rend au sang ce qu'il perd par la respiration et la
transpiration." (Lavoisier, Oeuvres, II, p.
700).
Lavoisier a compris que le carbone était nécessaire
aux combustions et qu'il était apporté par le sang.
Un demi-siècle plus tard, Claude Bernard (1813-1878)
démontrera que les véritables combustibles sont les
hydrates de carbone absorbés par l'intestin et
amenés au foie par la veine porte. Lavoisier a en tout cas
compris que les fonctions de l'organisme étaient soumises
à un système régulateur permettant à
l'individu de s'adapter à toutes les circonstances: "Se
tient-il dans un état d'inaction et de repos ? La
circulation est lente ainsi que la respiration; il consomme moins
d'air; il exhale par le poumon moins de carbone et
d'hydrogène et conséquemment il a besoin de moins de
nourriture. Est-il obligé de se livrer à des travaux
pénibles ? La respiration s'accélère; il
consomme plus d'air, il perd plus d'hydrogène et de carbone
et conséquemment il a besoin de réparer plus souvent
et davantage par la nutrition.." (Lavoisier, Oeuvres, II, pp.
699-700).
La physiologie de la
nutrition
Cherchant à analyser plus finement la physiologie de la
nutrition, et comprenant qu'il ne peut y parvenir seul, Lavoisier
rédige le 28 Juillet 1792 le programme du concours de
l'Académie des Sciences pour l'année 1794. Un prix
de 5.000 livres sera décerné à la meilleure
étude du rôle du processus "d'animalisation", c'est
à dire de la synthèse organique des tissus animaux
à partir des nutriments fournis par la nourriture. Il
devine que le foie y joue un rôle essentiel: "On sait que le
foie occupe une grande place dans le corps des animaux; qu'une
partie du système vasculaire abdominal est destinée
à ce viscère; que le sang y est disposé d'une
manière particulière pour la sécrétion
de la bile; que l'écoulement de cette humeur doit se faire
avec constance et régularité pour
l'intégrité de toutes les fonctions; que le foie
existe dans tous les ordres d'animaux, jusqu'aux insectes et aux
vers; qu'il est accompagné ou destitué de
vésicules du fiel, suivant la nature de ces êtres;
qu'il y a des rapports essentiels entre la rate, le
pancréas et le foie: voilà les premières
données que l'anatomie offre depuis longtemps au
spéculations des physiologistes. [...] Il est facile de
prévoir que, outre la sécrétion de la bile,
ou plutôt qu'avec le sécrétion de la bile un
appareil organique aussi important par sa masse, par ses
connexions, par sa dispositions vasculaires, que l'est celui du
foie, remplit un système de fonctions dont la science n'a
point encore embrassé l'ensemble." (Lavoisier,
Oeuvres, VI, p. 35).
Les premières phases de la physiologie de la digestion sont
déjà bien connues, rappelle-t-il: l'action
successive de la salive dans la bouche, du suc gastrique dans
l'estomac, de la bile et du suc pancréatique, convertit les
aliments en chyle; "une partie passe dans le sang pour
réparer les pertes qui s'opèrent continuellement par
la respiration et la transpiration; enfin la nature rejette, sous
forme d'excréments, tous les matériaux dont elle n'a
pu faire emploi." (Lavoisier, Oeuvres, VI, p.
34).
Mais il reste bien des inconnues: l'anatomie du foie et de la
vésicule; la constitution chimique de la bile dans les
différentes espèces animales; celle du parenchyme
hépatique; les différences de composition du sang de
la veine porte et de celui des autres régions; la
définition des fonctions du foie et de la bile, celle de
leurs rapports avec les fonctions des autres organes; les
principales maladies du foie et des voies biliaires chez l'homme
et les animaux. Dans son commentaire, Lavoisier souligne
l'importance qu'il attribue à la fonction hépatique
dans l'anabolisme. De façon très originale, il
exprime sa confiance dans la capacité de la chimie à
explorer les mécanismes de la vie: "L'Académie, en
proposant ce sujet, en pressent toutes les difficultés.
[...] Elle sait qu'il exige des recherches chimiques,
puisées surtout les nouveaux moyens d'analyse que
possède aujourd'hui la chimie; elle sent et elle
espère que ce travail obligera ceux qui s'y livreront
à déterminer la nature du sang de la veine porte,
à la comparer à celle du sang artériel et
veineux des autres régions; [...] elle est persuadée
qu'il est temps d'aborder les questions compliquées que
présentent les phénomènes de
l'économie animale, et que c'est de la réunion des
efforts de la physique, de l'anatomie et de la chimie, qu'on peut
se promettre maintenant la solution de ces grandes questions."
(Lavoisier, Oeuvres, VI, pp.35-36).
A côté de la révolution chimique, Lavoisier a
bien amorcé une autre révolution scientifique, celle
de la biologie: Claude Bernard, à son tour, établira
que les phénomènes dont les corps vivants sont le
siège obéissent à des lois aussi
précises et aussi stables que ceux de la substance brute.
Mais il témoignera de l'importance de la contribution de
Lavoisier, qu'il considère, après William Harvey
(1578-1657), comme la première grande figure de la biologie
moderne.
"Lavoisier, dit-il, avait déjà montré
clairement que les phénomènes physico-chimiques des
êtres vivants sont entretenus par les mêmes causes que
ceux des corps minéraux. Il démontra que les animaux
qui respirent et les métaux que l'on calcine absorbent dans
l'air le même principe actif ou vital, l'oxygène , et
que l'absence de cet air respirable arrête la calcination
aussi bien que la respiration. Dans un autre travail, Lavoisier et
Laplace prouvèrent que l'oxygène, en
pénétrant dans les êtres vivants, engendre en
eux la chaleur organique qui les anime, par une véritable
combustion semblable à la combustion de nos foyers.
L'antique fiction de la vie comparée à une flamme
qui brille et s'éteint cessa d'être une simple
métaphore pour devenir une réalité
scientifique. Ce sont en effet les mêmes conditions
chimiques qui alimentent le feu dans la nature inorganique et la
vie dans la nature organique. Si, partant du fait signalé
par Lavoisier, nous descendons dans l'analyse expérimentale
des fonctions vitales, nous verrons que dans tous les tissus, dans
tous les organes, c'est l'oxygène qui est toujours à
la fois l'excitateur des phénomènes
physico-chimiques et la condition de l'activité
fonctionnelle de la matière organisée.
L'oxygène pénètre dans les animaux par la
surface respiratoire et la circulation répand la vie dans
tous les organes et dans tous les éléments
organiques en leur distribuant l'oxygène dissous dans le
sang artériel." (Cl. Bernard, "Le problème de la
physiologie générale", in La science expérimentale, Paris: Baillière,1878, pp. 122-23).