Oeuvre de Lavoisier : Chapitre 8
Antoine-Laurent de Lavoisier
(1743-1794)
Chapitre 8 : Un savant au service des Arts
Le
Bureau de consultation des Arts et
Métiers
Le
Lycée des Arts
Les
Réflexions sur l'Instruction publique
L'unification
du Système des Poids et Mesures
L'Assemblée nationale a pris l'habitude de consulter les
savants sur toutes sortes de sujets et de les associer à
son action: les artistes, c'est à dire les artisans, ont
besoin d'être guidés et les membres de
l'Académie des Sciences se prêtent volontiers
à ce rôle: ils donnent leur avis sur le
fonctionnement des hôpitaux, le système
monétaire, les caisses d'épargne, le nouveau
calendrier républicain, les nouvelles machines à
vapeur, un taffetas huilé pour les manteaux des soldats,
la conservation de l'eau à bord des navires de
guerre...
Peu à peu, à coté de l'Académie de
plus en plus contestée, apparaissent des organismes
spécialisés dans un rôle de conseil et
d'assistance aux arts, tels le Bureau de consultation des Arts
et Métiers, le Lycée des Arts, la Commission des
Poids et Mesures.
Écarté dès le début de
l'année 1792 des responsabilité politiques et
financières, Lavoisier s'investit dans ces structures
nouvelles.
Le Bureau de consultation des Arts et
Métiers
En janvier 1792, l'Assemblée nationale a
créé le Bureau de consultation des Arts et
Métiers, à la fois comité consultatif et
société d'encouragement aux artisans. Il dispose
d'un budget de 300.000 livres. Trente membres
bénévoles, dont Lavoisier, se réunissent
au Louvre, rédigent des rapports sur la fabrication du
pain, l'édition de la collection des Arts et
Métiers, la fabrication des assignats et la
réforme de l'Enseignement. Ils signalent au gouvernement
les nouveautés scientifiques, aident les artisans
à les appliquer et secourent ceux qui sont dans le
besoin. (Cf. Général Morin, " Note sur le bureau
de consultation des Arts et Métiers ", Annales du Conservatoire impérial des Arts
et Métiers, tome VIII,
1867-1868, pp. 5-16).
Le Lycée des
Arts
A l'automne 1792, le Lycée , collège privé
qui enseigne les sciences aux gens du monde, connaît des
difficultés financières et demande une aide
à la Convention; celle-ci accorde 10.000 livres, mais
rappelle que "quelques uns des membres du Lycée se sont
permis des propos peu mesurés et ont manifesté
des principes très contraires à l'esprit public."
(Cité par G. Kersaint, Antoine François de
Fourcroy , sa vie, son oeuvre, Paris, Muséum éd.,
1966. p. 47).
Notons que ce collège, créé par
Pilâtre de Rozier en 1781, s'appelait à l'origine
le Musée de Monsieur; on y donnait des cours de
mathématiques, de physique et de chimie à 650
souscripteurs qui payaient chacun trois louis. A la mort de
Pilâtre, il prend le nom de Lycée et les
Académiciens qui y enseignent, en particulier Fourcroy
et Lavoisier, deviennent actionnaires; mais la
Révolution compromet le succès de l'entreprise,
et le 4 novembre 1793 Fourcroy demande une épuration des
enseignants; le Lycée prend alors le nom de Lycée
républicain.
Lavoisier, qui y enseigne la chimie, sent qu'il vaut mieux
s'éloigner et adhère à la
Société Philomatique, crée par Augustin
Silvestre et un groupe de jeunes gens amis des sciences:
histoire naturelle, anatomie, physique, chimie,
médecine, arts mécaniques, économie
rurale, commerce et mathématiques y sont à
l'honneur. (Notice sur l'Institution de la
Société Philomatique, Archives de l'Académie des
Sciences, fonds Lavoisier,
n° 162-163).
Lavoisier est bientôt rejoint par presque tous les
membres de l'Académie des Sciences. Silvestre leur
conseille de créer un concurrent du vieux Lycée,
suspect de conservatisme. Le Lycée des Arts,
société d'inspiration plus républicaine,
s'installe bientôt dans le jardin du
Palais-Egalité, ancien Palais-Royal. Les cours sont
répartis en huit sections: économie politique et
commerce; économie rurale; mathématiques et leurs
applications; physique générale (histoire
naturelle, zoologie, botanique, minéralogie, anatomie,
physiologie, médecine, chimie); physique
expérimentale; beaux-arts; belles lettres; technologie
(arts et métiers, manufactures). (Cf. Archives de
l'Académie des Sciences, fonds Lavoisier, dation
Chabrol, carton n° 5, dossier 84).
La rémunération des professeurs est fixée
à 24 livres par conférence, mais en raison des
difficultés de trésorerie, aucun ne sera encore
payé en novembre 1793. Selon le règlement, "ils
doivent s'éloigner absolument de l'aristocratie
académique, bannir les formes lentes et
rétrécies de l'éducation des
collèges et ramener enfin les esprits à ne
considérer les sciences que dans leurs rapports utiles
avec les arts et l'industrie." (Cité par L. Scheler,
Lavoisier et la Révolution française,
I Le lycée des
Arts, Paris, Hermann, 1956, p.
14).
Lavoisier souligne l'importance des cours d'économie
politique, d'agriculture, d'histoire et de géographie,
d'arts mécaniques. Au cours de réunions
d'information publique, il présente les
découvertes récentes comme la technique de
blanchiment des toiles selon le procédé de
Berthollet, les nouveaux chronomètres de marine, les
machines à vapeur. Des spécialistes de
l'architecture navale, de l'hydrographie, de l'exploitation des
mines de charbon reçoivent, eux aussi, des
encouragements et de modestes subventions.
Le 7 juillet 1793, le Lycée des Arts adresse à la
Convention une Pétition sur l'Instruction publique,
signée par Lavoisier et Desaudray;. Le texte propose
d'associer à l'instruction primaire un enseignement
technique adapté aux besoins des agriculteurs, des
artisans et des employés des manufactures. 2.500
écoles techniques primaires instituées dans les
districts donneraient le soir, les jours de fête et les
dimanches, des cours pratiques pour adultes. Les professeurs
seraient formés au Lycée des Arts.
Cet effort de diffusion de l'enseignement technique donnerait
un nouvel essor à l'industrie nationale et au commerce,
et permettrait de faire de la France la plus riche
contrée d'Europe. La richesse d'une nation est
fondée sur la prospérité de son commerce
extérieur, explique Lavoisier. Or, pour exporter, elle
doit produire des biens à un prix compétitif; "on
parvient à obtenir la même production à un
prix moindre en perfectionnant les arts, les métiers,
l'agriculture et en développant les qualités
physiques et morales des ouvriers, des agriculteurs et des
artistes." ("Pétition présentée à
la Convention nationale sur l'Instruction publique par le
Directoire du Lycée des Arts", Journal du Lycée des Arts, n° 11,15 juillet 1793, pp. 1- 4).
Les Réflexions sur
lInstruction publique
A partir d'un autre projet éducatif pour les artisans
élaboré par Lavoisier et ses collègues au
Bureau de consultation des Arts et Métiers, naît
l'idée d'un plan général d'Instruction
publique, inspiré de celui de Condorcet.
Lavoisier a déjà abordé avec Talleyrand
(1754-1838) et Condorcet ce sujet qui lui tient à coeur.
Il déclarait en juin 1791 que, "dans quelques
années, la France connaîtrait une
génération d'ignorants à cause de la
désorganisation de tout le système
éducatif provoquée par la Révolution."
(James Hall, National Library of Scotland, ms. 6330, p.
162).
Ses Réflexions sur l'Instruction publique proposent un
enseignement laïc, orienté vers les arts utiles et
comportant quatre niveaux: écoles primaires,
secondaires, instituts nationaux, lycées qui sont les
équivalents des facultés; une
Société centrale des Sciences et des Arts
couronnerait le tout. Le projet est largement inspiré du
plan de Condorcet. (Lavoisier, Oeuvres, VI, pp. 516 -558. Les
Archives de l'Académie des Sciences possèdent 5
manuscrits importants, très remaniés et
corrigés, intitulés Projet de Décret sur
l'Éducation publique proposé à la
Convention nationale par le bureau de consultation des Arts et
Métiers, fonds Lavoisier, dation Chabrol, carton n°
5, dossiers 77-81).
Mais les idées modernes et pragmatiques de Lavoisier
sont bien présentes: "Organisez l'Instruction publique
dans toutes ses parties", écrit-il; "donnez du mouvement
aux arts, aux sciences, à l'industrie, au commerce.
Voyez avec quelle ardeur toutes les nations, nos rivales,
s'occupent des moyens de suppléer par l'industrie
à ce qui leur manque du côté de la force,
de la population, de la richesse territoriale ! Une nation qui
ne participerait pas à ce mouvement
général, une nation chez laquelle les sciences et
les arts languiraient dans un état de stagnation, serait
bientôt devancée par les nations ses rivales: elle
perdrait peu à peu tous ses moyen de concurrence; son
commerce, sa force, ses richesses passeraient dans des mains
étrangères, et elle deviendrait enfin la proie de
quiconque formerait le projet de l'envahir. " (Lavoisier,
Oeuvres, VI, pp. 530-31).
Avec l'accord de Fourcroy et de Borda; il prévoit de
soumettre le plan à la Convention le 22 septembre. Cinq
jours avant, la loi des suspects est votée: c'est le
début de la Terreur. Les auteurs décident
d'attendre des circonstances plus favorables, qui ne viendront
pas. Il faudra attendre encore deux ans et la loi Daunou du 3
Brumaire An IV (octobre 1795), pour que la France dispose d'une
loi générale sur l'Instruction publique.
L'unification du Système
des Poids et Mesures
Lavoisier est responsable depuis 1790 d'une autre
réforme d'importance majeure: l'unification du
système des poids et mesures.
Il déplore depuis longtemps l'incroyable
diversité des unités de mesures, qui entrave
aussi bien le commerce que le progrès des sciences. La
valeur de la perche, de la toise, du pied, du pouce, de la
ligne, de l'aune, de la livre, du muid varie d'une province,
d'une ville et même d'une paroisse à l'autre. Il a
depuis longtemps adopté pour ses travaux personnels le
système décimal et recommandé à ses
collègues chimistes d'en faire autant, "en attendant que
les hommes, réunis en société, se soient
déterminés à n'adopter qu'un seul poids et
qu'une seule mesure." (Lavoisier, Oeuvres, I, p.
249).
Le 30 mars 1791, l'Assemblée Constituante accepte le
projet qu'il soumet au nom de la Commission des Poids et
Mesures de l'Académie des Sciences;: l'unité de
longueur sera égale à la dix millionième
partie du quart du méridien terrestre; une fois celle-ci
définie, il sera aisé d'en déduire
l'unité de capacité en la portant au cube et,
partant, l'unité de poids, précise Talleyrand,
"en faisant usage d'un procédé ingénieux
de M. Lavoisier qui a déterminé, avec la plus
grande exactitude, le poids d'un pied cube d'eau
distillée à la température de 14,4
degrés du thermomètre de Réaumur, soit 18
degrés centigrades." (Talleyrand, Proposition faite à l'Assemblée
nationale sur les Poids et Mesures, Paris, 1790.).
Pierre François André Méchain (1744-1804)
et Jean Baptiste Joseph Delambre (1749-1822) sont
chargés de déterminer la longueur de l'arc du
méridien allant de Dunkerque à Barcelone. Borda
et Jacques Dominique Cassini (1747-1845) calculent à
l'Observatoire de Paris le nombre d'oscillations d'un pendule
mesurant un mètre, mesurent à Bordeaux la
longueur du pendule battant la seconde à 45
degrés de latitude au bord de la mer et comparent le
nombre d'oscillations des deux pendules en une jour. Lenoir
fabrique les deux boules des pendules, l'une en or, l'autre en
platine.
A Paris, en janvier 1793, Lavoisier et l'abbé
René Just Haüy (1743-1822) fixent l'unité de
poids, le grave, futur kilogramme, à partir du poids du
décimètre cube d'eau distillée, à
la température de la glace fondante. Mathurin Jacques
Brisson (1723-1806), Vandermonde (1735-1796) et Berthollet
rassemblent à Sainte-Geneviève, l'actuel
Panthéon, toutes les mesures de longueur, de
capacité et de poids utilisées en France et les
comparent aux nouvelles unités.
La Convention veut simplifier le projet pour aller plus vite.
Lavoisier proteste: "Ce serait substituer une idée
étroite et resserrée à une des plus belles
et des plus vastes conceptions de l'esprit humain; ce serait
préférer une mesure locale et particulière
à un système général qui embrasse
à la fois la géographie, la marine, l'arpentage,
les poids, la monnaie et les mesures des solides et des
liquides. Enfin ce serait perdre, et peut-être pour
jamais, l'inappréciable avantage de supprimer toutes les
difficultés de calcul au moyen des divisions
décimales." (Lavoisier, Archives de l'Académie des
Sciences, fonds Lavoisier, ms.
144.).
Le 1er août 1793, la Convention décide que
l'unité linéaire sera le mètre, dix
millionième partie du quart du méridien,
l'unité de superficie l'are, l'unité de
capacité le décimètre cubique ou pinte,
l'unité de poids le grave.
Lavoisier propose à la commission des Assignats et
Monnaie d'adopter aussi le système décimal et de
diviser la livre en dix décimes et chaque décime
en dix centimes. "Il reste encore à la Convention un
dernier pas à faire pour mettre le complément
à son ouvrage, écrit-il; en vain aurait elle
adopté un système métrique aussi parfait
qu'il le peut être, en vain aurait elle relié les
divisions monétaires à ce système
général, ce travail perdrait la plus grande
partie de son utilité si la livre de compte continuait
d'être divisée en 240 parties, c'est à dire
en 20 sols et le sol en 12 deniers. " (Lavoisier,
Oeuvres, VILS, p. 703).